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Au Maroc, Gouverner... c'est compenser

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Au Maroc, Gouverner... c'est compenser Empty Au Maroc, Gouverner... c'est compenser

Message par Admin Mar 6 Sep - 11:12

En 2011, le soutien aux produits pétroliers, au sucre et à la farine devrait coûter à l'Etat entre 41 et 45 milliards de DH. A elle seule, l'enveloppe de compensation représente le montant du déficit budgétaire pour l'année 2011. En absorbant 20% du Budget de l'Etat, la compensation pèse presque aussi lourd que le plus budgétivore des ministères.

Au Maroc, Gouverner... c'est compenser Maroc-14

On pensait que le cru 2008, avec ses 31,5 milliards de DH de charges relatives au soutien des produits dits de nécessité (hydrocarbures, butane, sucre et farine), constituaient un record. On pensait même que l’année 2010, avec ses 30 milliards de DH, constituait désormais un plafond. Mais on était loin d’imaginer que l’année 2011 serait celle de tous les excès. Dans le meilleur des cas, les dépenses de compensation (à ne pas confondre avec les charges de la Caisse de compensation qui ne comprennent pas le soutien à la farine) relative à l’exercice en cours seront de 41 milliards de DH et culmineront peut-être à 45 milliards si le cours du pétrole ne s’assagit pas, ce qui est plus que probable.
Avec ces 45 milliards de DH, le soutien au prix devient désormais une charge très importante. A tel point qu’aussi bien les acteurs publics que privés se posent aujourd’hui la question : Où va-t-on comme cela ? Contexte social et de tensions régionales oblige, personne ne se risque aujourd’hui à évoquer une diminution de ce soutien.

Compensation : 5,5% du PIB !
Et pourtant, 45 milliards de DH, c’est lourd, trop lourd pour le Budget du Royaume. A titre indicatif, la charge de compensation (soutien au prix de la farine compris) absorbera le cinquième des recettes du Budget général de l’Etat prévues au titre de la même année. En faisant des comparaisons avec les dépenses d’exploitation et d’investissement des ministères les plus budgétivores (voir infographie), le constat est encore plus effarant. Ainsi, le soutien aux prix, dépense par essence liée à la consommation et non à l’investissement productif, représentera-t-il, en 2011, 83% de ce qu’alloue le Maroc au secteur de l’éducation nationale, plus d’une fois et demie ce qu’il consacre à la Défense nationale, près de trois fois ce qu’absorbe le ministère de l’intérieur et quatre fois ce que le secteur de la santé exige !
Enfin, l’enveloppe de compensation représentera 5,5% du PIB de 818 milliards de DH prévu en 2011, soit exactement le niveau du déficit budgétaire estimé pour cette année. Hors charges de compensation, donc, le Budget de l’Etat serait pratiquement à l’équilibre !
La subvention des prix des produits de base est certes nécessaire et joue un rôle régulateur également. Elle a contribué à maintenir l’inflation à un niveau bas (+0,8% sur les cinq premiers mois de l’année), ce qui a permis de préserver le pouvoir d’achat du consommateur dans un contexte de flambée des cours mondiaux des matières premières. Mais, en réalité, ce mécanisme ne fait que différer l’inflation dans le temps. Car dans l’état actuel des finances publiques, la charge de compensation est entièrement financée par de l’endettement. Et quand on sait que les taux d’intérêt sur le marché monétaire et obligataire subissent déjà une pression à la hausse compte tenu du resserrement des liquidités, on ne peut que s’attendre à une accentuation de la hausse si le Trésor recourt de plus en plus au marché de la dette. Une mesure qui finirait par avoir un impact sur l’inflation. Il est clair qu’aucun pays ne peut éviter les effets de la flambée des matières premières, mais dans le contexte actuel il devient plus qu’urgent de réformer le système de subvention des prix, ne serait-ce que pour limiter son impact sur le Budget de l’Etat en ces temps de crise mondiale.

6 milliards de DH de futurs arriérés à imputer sur le Budget de 2012
Pourquoi un tel poids en matière de charge de compensation ? Les produits pétroliers que sont les carburants et le butane ! L’essentiel des dépenses de compensation sera, en effet, porté en 2011 (comme depuis 8 ans d’ailleurs) par la Caisse de compensation, qui se charge de la subvention des prix du gaz butane, des produits pétroliers et du sucre. Son directeur, Najib Benamour, estime que l’année se terminera avec une charge globale comprise (hors arriérés de 2010) entre 37 et 41 milliards de DH.
Il faut rappeler que l’enveloppe initiale prévue par la Loi de finances 2011, qui est de 24 milliards de DH, a été entièrement utilisée, avec 7 milliards affectés au paiement des arriérés de remboursement aux pétroliers, relatifs aux ventes de carburant subventionné pour les deux derniers mois de l’année 2010.
Après avoir exploré toutes les solutions, le gouvernement n’avait pas trop le choix. Il vient d’accorder, lors de son conseil du 18 août, une rallonge de 18 milliards de DH pour combler l’insuffisance du budget de la Caisse de compensation. Le DG de cette dernière précise que ces nouveaux crédits ouverts par décret serviront à rembourser les arriérés accumulés jusqu’à fin juillet, qui s’élèvent à 9 milliards de DH, ainsi qu’au paiement des subventions relatives aux mois d’août, septembre et octobre, pour le même montant. Les dépenses de compensation de novembre et décembre seront, elles, imputées sur le Budget de l’Etat de 2012, compte tenu du temps nécessaire pour le règlement aux opérateurs (2 mois environ). Elles pourront atteindre près de 6 milliards de DH si les cours mondiaux du pétrole restent à un niveau élevé. Ces derniers, même s’ils ont rompu avec leur forte tendance haussière en mai dernier, restent à un niveau élevé. C’est surtout le cas du cours du pétrole, qui culmine toujours à près de 110 dollars pour le baril de Brent, sachant qu’il avait atteint 127 dollars il y a trois mois. La tonne de blé est, elle, toujours à plus de 700 dollars à Chicago, alors que la tonne de sucre a refranchi la barre des 800 dollars sur le marché de Londres.
Ainsi, donc, la charge de compensation relative aux matières dont les prix seront soutenus en 2011 pourrait atteindre les 41 milliards de DH. A cette dépense imputée à la Caisse de compensation s’ajouteront près de 4 milliards de DH nécessaires à la subvention des prix de la farine que reverse l’Office national interprofessionnel des céréales et des légumineuses (ONICL) aux minotiers.
Et pour 2012 ? Si les cours du sucre et du blé s’envolent et s’assagissent au gré de la qualité des récoltes mondiales, ceux du pétrole sont sur une tendance haussière de fond, avec un cours dépassant les 100 dollars le baril. Or, quand on sait que les dépenses de compensation des hydrocarbures et du gaz représentent, à elle seules, plus de 80% de l’enveloppe de compensation, on mesure bien la difficulté devant laquelle se trouve le gouvernement qui a trop hésité, pendant les années fastes, à procéder à une indexation et qui devrait nécessairement procéder à une douloureuse réforme. «Gouverner au Maroc, c’est pleuvoir», disait le maréchal Lyautey, il y a un siècle. Aujourd’hui, gouverner au Maroc c’est compenser...

Rétroviseur : Après l'heure ce n'est plus l'heure...
Dans son édition du 14 janvier 2011, La Vie éco titrait en s’alarmant «Faut-il augmenter le prix du carburant ?». Au début de l’année, et alors que la Loi de finances avait prévu un baril à 75 dollars, le cours de l’or noir s’affichait à 94 dollars. Fallait-il augmenter même partiellement le prix à la pompe à ce moment-là ? Sans doute, parce qu’un mois après survenait le 20 février et toute action antisociale aurait amplifié la grogne. L’une des erreurs stratégiques du gouvernement El Fassi a été celle d’avoir péché par excès d’optimisme.
En février 2009, et alors que le cours du pétrole semblait s’être assagi à la suite de la crise internationale, l’Etat décidait de baisser les prix à la pompe de 2 DH par litre, en moyenne. Conforté au sortir d’une année 2008 excédentaire, le gouvernement a sans doute estimé qu’il avait de quoi voir venir… Une baisse moins importante aurait sans doute été la solution de compromis.

Communication : Quand la Caisse de compensation sensibilise
Depuis quelque temps, la caisse a lancé, pour la première fois de son histoire, une campagne de communication de grande envergure diffusée à travers les chaînes de télé nationales, les radios et la presse écrite. Dans quel objectif ? L’idée est de sensibiliser l’opinion nationale sur les efforts fournis pour assurer la stabilité des prix et faire prendre conscience aux citoyens quant au prix réel de matières consommées. Une manière d’appeler indirectement à une consommation plus modérée des produits subventionnés.
Effet pervers, la campagne a fait penser à plus d’un qu’il s’agit là d’une réaction des pouvoirs publics aux manifestations survenus depuis le début de l’année au Maroc et dans les pays voisins. Najib Benamour, DG de la caisse, assure que ce n’est nullement le cas. «Cette campagne de communication a été décidée lors du Conseil d’administration de la caisse de juin 2010, soit des mois avant le déclenchement des manifestations».

Souhail Nhaili.
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