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Jeu 19 Nov - 21:07 par Admin
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Nouvelle constitution. Oui, mais…
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Nouvelle constitution. Oui, mais…
Soumise à référendum le 1er juillet, la nouvelle Constitution ne semble pas répondre aux aspirations d’une frange non négligeable de la société. Même parmi les partisans du “oui”, certains estiment que leurs doléances n’ont été que partiellement satisfaites.
Que pensez-vous de la nouvelle constitution ?
répond-elle à vos aspirations ?
Nabila Mounib : Notre principale revendication était d’avoir une
constitution démocratique qui instaure une monarchie parlementaire, telle que reconnue à l’international. Les Marocains sont majeurs et vaccinés et nous estimons qu’ils peuvent accéder à ce système de gouvernance. Or, cette nouvelle Constitution n’est pas démocratique. D’abord par la procédure de son élaboration et puis dans son contenu, qui ne consacre pas la souveraineté du peuple. La monarchie reste, en effet, omniprésente et le roi préside toujours l’ensemble des conseils, et surtout le Conseil des ministres où sont élaborées les orientations et politiques stratégiques du pays. Bien sûr, certaines prérogatives ont été concédées au chef du gouvernement, mais le partage reste déséquilibré. Il n’y a pas non plus de réelle séparation des pouvoirs et, surtout, il n’y a pas de liaison entre exercice du pouvoir et reddition des comptes. Pour résumer, je dirai que le roi demeure au-dessus de la Constitution.
Karim Tazi : C’est une constitution de transition et il nous faudra sans doute passer par plusieurs transitions avant d’atteindre une véritable démocratie. Cela dit, j’ai toujours dit et répété qu’une démocratie ne s’octroie pas, elle se gagne. Ce que nous avons obtenu a été à la hauteur de notre mobilisation. Si nous avions été des millions dans la rue, nous aurions obtenu plus. Mais nous n’avons été que 300 000 et le résultat est logique. Ma déception la plus grande réside dans le caractère “attrape-tout” des prérogatives du Conseil des ministres, qui réduit mécaniquement celles du Conseil de gouvernement. Idem pour la Chambre des conseillers qui a survécu et dont les prérogatives continuent à se recouper avec celles de la première chambre.
Mostafa El Khalfi : Cette Constitution est, à plusieurs égards, plus évoluée que la précédente. Je crois que le problème de la monarchie exécutive a été résolu dans certains aspects, mais renforcé dans d’autres. Nous ne sommes pas encore arrivés à une monarchie parlementaire où le roi reste à l’écart de la gestion du pays pour s’astreindre à un rôle d’arbitre et de symbole de la souveraineté. Il y a aussi cette dualité entre Conseil de gouvernement et Conseil des ministres que nous aurions aimé voir disparaître. Le roi garde par ailleurs de grandes prérogatives en matière de législation qui empiètent sur le rôle du parlement. Nous avons proposé, par exemple, que toutes les privatisations et les cessions des terres de l’Etat soient validées par le Législatif, mais cette proposition n’a pas été retenue. Tout cela pour dire que nous faisons un pas en avant, mais avec beaucoup d’hésitation. Néanmoins, si nous avons un vrai chef de gouvernement, nous pouvons déboucher sur une répartition équitable des pouvoirs.
Hamza Mahfoud : Au sein du Mouvement du 20 février, nous estimons que la Constitution soumise à référendum ne doit être comparée ni avec celle de 1996, ni avec les mémorandums des partis politiques. Elle doit être appréhendée à la lumière de cet instant historique qu’on appelle le Printemps arabe. Ce sont les peuples qui décident de leur sort via des assemblées constituantes. Quand nous avons été convoqués par la Commission consultative de révision de la Constitution, nous avons décliné à l’unanimité cette invitation. Nous avons continué à revendiquer une assemblée constituante pour définir le régime que nous désirons et qui n’est autre qu’une monarchie parlementaire. Personnellement, je peux vous dire que, malgré notre position de principe, j’aurais voté “oui” et appelé à voter pour cette Constitution si le processus avait débouché sur une réelle démocratie. Sauf que le dernier discours du roi était décevant, tout autant que le texte de constitution proposé.
K. Tazi : Il y a d’autres motifs de déception dans ce texte constitutionnel, notamment en ce qui concerne la séparation des pouvoirs et l’indépendance de certains organes cruciaux. Exemple : le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire, du fait de sa présidence et de sa composition, ne me paraît pas réunir les garanties d’indépendance dont nous avons besoin. C’est encore moins le cas pour la Cour constitutionnelle. Pourtant, il s’agit de deux organes cruciaux, censés protéger, en ultime recours, l’application de la loi et le droit du citoyen. En raison de mon expérience personnelle ces quatre derniers mois, je peux témoigner de l’importance cruciale de la protection des droits et des libertés d’expression des militants. Or, on ne construira pas la démocratie sans militants.
Meryam Demnati : Je parle ici au nom du mouvement amazigh, qui a 50 ans de militantisme et qui a appris à se méfier. Nous ne nous attendions pas non plus à ce qu’on nous déroule le tapis rouge. Mais ce que nous avons eu là, c’est une réponse anti-démocratique à la mobilisation du 20 février, dont la jeunesse amazighe est une composante. Le travail de la commission de Abdeltif Menouni, puis la finition, si j’ose dire, par le mécanisme présidé par le conseiller du roi Mohamed Moâtassim, n’a pas été exemplaire. Mais il y a pire. La mobilisation, à la dernière minute, des partis conservateurs pour contrer les revendications démocratiques auxquelles nous aspirions. J’ai eu accès au texte initial et je peux vous dire que c’est une constitution dont nous aurions été fiers. Malheureusement, elle a été torpillée et on sait très bien par qui. Exemple : la constitutionnalisation de la langue amazighe. Certes, c’est un acquis très important puisque c’est la première fois que cette langue figure dans la constitution d’un pays d’Afrique du Nord. Toutefois, dans la copie initiale, il était marqué que les deux langues du Maroc sont l’arabe et l’amazighe, au même titre. Arrivent ensuite les torpilleurs et on se retrouve avec l’amazighe qui est “aussi langue officielle”. Ils ont fait la même chose pour l’africanité. Au début, le Maroc était un pays africain. Et à la fin on retrouve que l’africanité est un affluent comme les autres. C’est le comble ! Et pour couronner le tout, on a fini par nous dire que nous appartenons à la Oumma arabo-islamique, une autre mention qui n’existait pas dans la copie de la commission Menouni.
“La liberté de conscience” a été également supprimée de la mouture finale du projet de constitution. Quel rôle a joué le pjd pour que cette mention soit retirée ?
M. El Khalfi : Contrairement à ce qui a été dit ou écrit, le PJD n’a pas été utilisé pour faire pression et enlever la mention “liberté de conscience”. Dans la dernière ligne droite de l’élaboration de cette Constitution, c’est-à-dire jusqu’aux derniers jours, nous avons mené une bataille sur le front démocratique. Nous avons insisté, par exemple, pour que les walis et ambassadeurs soient proposés par le chef du gouvernement et aussi pour que les conseils des régions soient élus au suffrage universel. Ce n’était pas le cas initialement. Quant à la liberté de conscience, sachez que même la commission a été divisée sur cette question qui était, en plus, formulée de manière très restrictive. Dans la copie initiale, il était écrit que cette liberté de conscience devait s’exercer dans le cadre de la loi et sans porter atteinte à l’ordre public. Ce qui ne veut rien dire en fin de compte.
N. Mounib : Pour nous, la liberté de conscience n’est pas élémentaire, elle est fondamentale. Mais je commencerai par la question de l’identité pour dire qu’elle va au-delà de la Constitution et qu’elle est au centre de tout projet sociétal. Au Maroc, on a deux projets qui s’affrontent, le projet moderniste et démocratique et le projet conservateur. En fin de compte, c’est la frange conservatrice qui a gagné. Et ce n’est pas parce que le PJD a fait pression mais parce qu’on a voulu que les conservateurs gagnent cette bataille. Vous savez, les mots ont leur importance. Dire que le Maroc est un pays musulman, ce n’est pas la même chose que dire que l’Etat est musulman. Un Etat, ce sont des institutions. Et puis, au PSU, nous avons proposé d’appeler les Marocains un peuple et non une Oumma. Dans la Oumma, l’individu n’existe pas et c’est une grave erreur.
H. Mahfoud : Un petit détail : dans la nouvelle Constitution, le roi est mentionné à 61 reprises, le peuple n’est cité qu’une seule fois. Cela résume à peu près tout…
K. Tazi : Pour avoir également eu accès au texte initial, je peux confirmer qu’il avait une meilleure cohérence que le projet qui a été soumis au vote. Et il est certain que l’une des plus tragiques amputations dont il ait été victime est celle relative à la liberté de conscience. J’aimerais qu’on m’explique comment une conscience peut ne pas être libre ! C’est comme si on venait me parler d’une nuit ensoleillée. Croire qu’on peut régenter la conscience d’un individu dans un texte constitutionnel, c’est, au mieux, une supercherie intellectuelle et, au pire, quelque chose d’inquiétant. Cette amputation, à mon avis, est une perte pour ce texte et pour le Maroc. Même chose pour la notion de “religion de l’Etat marocain” qu’on a substituée à la notion originelle de “pays musulman”. Lorsqu’on sait que l’Etat est souvent défini comme une entité qui a le monopole de la contrainte physique légitime, lui reconnaître une religion, c’est reconnaître quelque chose de contraignant à ce qui devrait pourtant relever de la sphère privée, voire intime de l’individu. Cela dit, je ne crois pas qu’il y ait eu un complot entre le PJD et le pouvoir. Je pense que le PJD était dans son rôle en tant que parti qui a des convictions et qui les a défendues. Je pense que ce qui s’est passé durant les 3 ou 4 derniers jours - que je qualifierai de naufrage ou de tragédie - est d’abord un échec pour le camp progressiste de ce pays, qui est resté tétanisé pendant que d’autres jouaient leur rôle. On oublie qu’une constitution résulte d’un rapport de forces.
M. Demnati : On a retiré le caractère civil de l’Etat et la liberté de conscience qui sont les bases de toute société démocratique. Je reviens à l’amazighité pour rappeler qu’à la dernière minute, on a permis à un leader de l’Istiqlal d’aller à la télévision pour parler tout seul pendant des heures. Et de débiter des énormités au sujet de l’amazighité. Nous, par contre, nous n’avons pas eu droit à la parole.
H. Mahfoud : En tant que membre du Mouvement du 20 février, je m’en tiens toujours à notre plateforme. Ce texte tournait autour d’un grand slogan : “Assez de sacralités, plus de liberté”. En ce qui concerne la liberté de conscience, et sans vouloir accuser qui que ce soit, je rappelle juste que le PJD, lors des marches du 1er mai, nous avait accusés publiquement d’être contre l’islam.
M. El Khalfi : Le PJD n’a jamais dit une chose pareille. Cela dit, pour résoudre les questions liées à l’identité, il nous aurait fallu une assemblée constituante élue par tous les Marocains. Et c’est le peuple qui aurait tranché en fin de compte. En ce qui concerne l’amazigh, au PJD, nous avons proposé que cette langue soit nationale sachant que nous n’allions pas nous opposer à son officialisation. Et j’aimerais insister sur un point capital : la langue amazighe, en plus d’être langue officielle, a été déclarée “patrimoine commun à tous les Marocains”, statut qui n’a pas été réservé à la langue arabe. Ce qu’il nous faut, c’est une vraie politique linguistique qui préserve et aide à l’évolution et de l’arabe et de l’amazigh, en plus des autres expressions nationales.
K. Tazi : Nous avons eu, à l’occasion de la rédaction de cette Constitution, une parfaite démonstration du concept de “Blad Schizo” cher au groupe Hoba Hoba Spirit. Le texte de constitution a d’abord été écrit en langue française avant d’être traduit, avec plus ou moins de bonheur, en langue arabe. Ce texte reconnaît, avec une certaine hésitation, le caractère officiel de la langue amazighe et mentionne, parmi d’autres, la langue que parlent quotidiennement la plupart des Marocains, la darija, et, enfin, ne dit pas un mot de la langue dans laquelle il a été écrit. Bonjour la schizophrénie ! Dramatique illustration de ce qu’il se passe lorsque les considérations idéologiques l’emportent sur le bon sens et l’intérêt du simple citoyen.
N. Mounib : Nous vivons effectivement une grave schizophrénie. On nous dit que les lois et conventions internationales priment sur les lois nationales et, en fin de compte, ce sont ces dernières qui ont la suprématie, puisqu’il est écrit que les conventions internationales ne peuvent être opposées aux identités ancrées. On comprend tout de suite que le gardien de ces identités soit le Conseil des Ouléma qui, lui aussi, est présidé par le roi.
H. Mahfoud : Le préambule de la Constitution dit aussi que les conventions internationales ne sauraient être segmentées. Or, c’est ce qui arrive tout au long du texte.
Concernant le pouvoir de la monarchie, pensez-vous que la cour royale aurait dû prendre une dimension institutionnelle dans cette nouvelle constitution ?
N. Mounib : C’est une question fondamentale au sujet de laquelle le PSU a rédigé un document où nous expliquons comment ce gouvernement de l’ombre constitue une entrave à la démocratie. Nous avons relevé que cette force supragouvernementale recrute des technocrates qu’elle habille avec les couleurs de certains partis politiques dont ils ne connaissent même pas les locaux. Ils ont manipulé le champ politique en perspective des élections de 2012. Heureusement que le 20 février est passé par là, même si rien n’est encore gagné. Par ailleurs, l’entourage royal ne se limite pas à son cabinet. On peut y inclure aussi le ministère de l’Intérieur, le secrétariat général du gouvernement, sans oublier les walis et gouverneurs qui sont aujourd’hui nommés par le Conseil des ministres. A cela s’ajoute l’ensemble des commissions, des conseils, des fondations et des agences qui travaillent sous la supervision directe du roi. En bref, l’entourage royal est très tentaculaire, il commence au sommet et descend jusqu’aux petits postes de responsabilités, soumettant ainsi toutes les institutions du pays à son contrôle et réduisant les contre-pouvoirs à leur plus bas niveau. Et le fait que le cabinet royal ait été passé sous silence dans la nouvelle Constitution ne présage rien de bon.
M. El Khalfi : C’est un véritable casse-tête institutionnel. Il suffit de savoir que cet entourage n’est pas concerné par la loi sur la déclaration de patrimoine. C’est un indicateur très grave. Cet entourage a failli avoir la mainmise sur la scène politique, à l’instar de l’Egypte et la Tunisie.
N. Mounib : Ce qui a aggravé cette domination de l’entourage royal c’est l’économie de rente, qui est en totale opposition avec le choix de l’économie libérale décidé par le Maroc. Les proches du roi profitent largement de leurs rentes dans une totale impunité.
K. Tazi : Dès 2005, j’avais évoqué dans une interview l’influence néfaste que pouvait avoir l’entourage royal, que ce soit dans la sphère économique ou politique. Aujourd’hui, c’est un sujet devenu banal, mais dont les causes ne sont pas toujours bien comprises. A partir du moment qu’une personne exerce un pouvoir important, son entourage bénéficie mécaniquement de la protection qu’apporte ce pouvoir. Des gens qui n’ont pas de rôle institutionnel influent en coulisse sur la marche des affaires de l’Etat. Chaque fois qu’on parvient à restreindre les situations d’exercice ultrapersonnalisé du pouvoir, on limite l’influence des entourages. Or ce n’est pas le cas dans la Constitution actuelle, alors que faire ? Rien sinon espérer qu’à l’avenir, cet entourage sera de qualité, ce qui pose la question plus générale du rôle des conseillers royaux. Comme tout chef d’Etat, le roi a le droit d’être entouré par des conseillers, mais il faudra qu’on nous explique en toute transparence quels sont exactement leurs rôles, leurs sphères d’influence et la nature de leurs rapports avec le gouvernement et l’administration.
H. Mahfoud : Concernant l’entourage royal, je me réfère à l’acte constitutif du Mouvement du 20 février, qui stipule clairement la responsabilité de l’Etat de punir les personnes impliquées dans les actes de torture et de corruption. Les slogans du mouvement ont été très explicites. Des milliers de manifestants ont scandé “avec El Himma et Majidi, Mamfakinch” et “El Himma, dégage”. D’autre part, le Mouvement du 20 février a revendiqué une réduction des prérogatives du roi, ce qui impliquerait automatiquement une réduction de la marge de manœuvre de ses amis et collaborateurs.
M. Demnati : Déjà, sur la commission de Menouni a été greffé le mécanisme présidé par Mohamed Moâtassim, qui n’est autre qu’un des personnages clés du cabinet royal. Tout porte à croire que cette notion opaque d’entourage royal a encore de l’avenir, et le roi continuera -grâce à cette Constitution qui lui octroie un pouvoir absolu - de choisir ses conseillers, qui continueront à défendre leurs intérêts. Peu importe que l’on sache qui ils sont ou quelle est l’étendue de leurs prérogatives.
M. El Khalfi : Je pense que la nouvelle Constitution n’est pas une fin en soi. Ce qui importe c’est comment on va l’interpréter. Si on veut lui donner une interprétation démocratique, les choses vont avancer, sinon, dans la pratique, ce sera un remake du texte de 1996. En tant que membre du PJD, même si nous allons voter “oui” pour cette Constitution, il n’empêche que certaines de nos revendications n’ont pas été prises en compte. C’est le cas des nouvelles prérogatives du parlement qui, à première vue, ont été élargies, mais sans englober les contrats-programmes ou encore les accords commerciaux entre le Maroc et les pays étrangers. C’est fondamental pour nous que ce genre d’accords soient soumis à la ratification du parlement. Mais, encore une fois, tout dépendra de l’interprétation qui sera donnée à cette nouvelle loi fondamentale du pays.
Durant la campagne, on a vu plusieurs manifestations des partisans du “oui”. dans certains cas, elles ont tourné à la confrontation avec ceux qui, dans la rue, expriment un avis contraire. comment analysez-vous cette situation ?
N. Mounib : En ce qui concerne les heurts dans la rue, il s’agit d’événements inqualifiables. Il s’agit d’un déni de l’intelligence pure et simple. Le respect d’un peuple commence d’abord par lui accorder le libre choix et non pas lui demander de répondre aveuglément par l’affirmative. Le “non” n’avait pas droit au chapitre. J’en fais l’expérience avec la campagne du non que je mène avec mon parti. Dans la ville d’El Jadida, nous n’avons pas pu avoir accès à la salle où nous avions programmé notre meeting. En revanche, les autorités locales mobilisent toutes les corporations de métiers pour le “oui”. Les pratiques qui nous rappellent l’ancienne ère reprennent le dessus. Avant même le début de la campagne, il y a eu beaucoup de manipulations des Marocains, à qui on a essayé de faire peur en jouant avec le spectre de ce qui s’est passé dans le monde arabe. On a l’impression que l’Etat ne fait rien pour que le peuple marocain évolue. La clé réside dans l’éducation, dont la gratuité n’a même pas été consacrée dans la Constitution.
K. Tazi : Les gens doivent voter 15 jours après le discours royal, dans un contexte caractérisé par une insuffisance de débat. Et cette approbation rapide, pour ne pas dire expéditive, est aggravée par le retour de la propagande grossière. La neutralité à laquelle on est en droit de s’attendre de la part d’un Etat démocratique a été gravement bafouée. L’ensemble du contexte de l’élaboration de cette Constitution, jusqu’à son marketing politique, n’est pas rassurant pour ceux qui aspirent à une démocratisation du pays.
M. Demnati : Il suffit de revenir à la réaction des autorités au lendemain du discours royal et du lynchage systématique des jeunes du Mouvement du 20 février, dont certains ont été menacés dans leur intégrité physique au prétexte que ce sont des traîtres à la nation et qu’ils sont des antiroyalistes. Après tout le cinéma orchestré par l’Etat pour faire passer ce projet, ne fallait-il pas continuer à laisser les jeunes s’exprimer dans la rue pour faire bonne figure, sachant que la constitution allait être validée sans surprise ?
K. Tazi : Absolument, ne suffit-il pas que 30 partis politiques sur 34 aient adopté ce texte ? Pourquoi recourir aux chioukh et moqaddems, sans oublier la Zaouia Boutchichia et je ne sais quoi d’autre pour galvaniser les troupes et installer un climat de tension dans la rue.
H. Mahfoud : Durant la manifestation du 26 juin, nous avons eu droit à des jets de pierre, ce qui a fait plusieurs blessés parmi les manifestants, en plus d’un blessé grave parmi les forces de l’ordre. Nous avons été approchés par trois adolescents de Hay Mohammadi qui nous ont confié que certaines personnes leur avaient donné un billet de 100 DH et leur avaient expliqué que les jeunes du mouvement étaient des Algériens qui manifestaient contre la marocanité du Sahara. D’un autre côté, plusieurs bus ont déversé des centaines de personnes sur le lieu de la manifestation à Hay Mohammadi. Par ailleurs, on a vu de la Baltaja aussi au niveau de la désinformation. En effet, la MAP a parlé de 300 000 adeptes de la Zaouia Boutchichia alors que personne n’a parlé des manifestants contre la Constitution. Sans oublier la traque sur le Net et le piratage des adresses mail et des profils Facebook des militants. Alors, elle est où la promesse des lendemains démocratiques ?
M. El Khalfi : Malheureusement, ces heurts gratuits sont devenus une constante de la scène politique marocaine. Chaque fois qu’il y a une avancée, il y a des forces régressives qui viennent la mettre en échec. Pour rappel, au début du mouvement, la télévision s’est ouverte à tous les courants pour leur donner la parole. C’était une avancée spectaculaire. Même les manifestations se sont inscrites dans une certaine normalité. Malheureusement, dès que la campagne pour le référendum a été lancée, les mauvaises habitudes ont repris le dessus.
Ils débattent…
Mostafa El Khalfi : Le directeur du quotidien Attajdid est un membre dirigeant du Mouvement unicité et réforme (MUR), association proche du Parti justice et développement (PJD), dont il est également membre du secrétariat général.
Meryam Demnati : Cette enseignante spécialiste en pédagogie est l’une des figures féminines les plus en vue du mouvement amazigh. Elle est aussi chercheur à l’IRCAM et membre de l’Observatoire amazigh des droits et libertés (OADL).
Hamza Mahfoud : Membre très actif et auteur de plusieurs slogans du Mouvement du 20 février, ce licencié en philosophie est aussi lauréat de l’Institut supérieur de journalisme et de l'information (IFJ sup).
Nabila Mounib : Professeur de biologie, elle est secrétaire générale de la section casablancaise du Syndicat national de l’enseignement supérieur (Snesup). Elle est aussi membre du secrétariat général du Parti socialiste unifié (PSU).
Karim Tazi : Businessman respecté dans les milieux des affaires, il est aussi le fondateur de la Banque Alimentaire. Acteur associatif très engagé, réputé pour son franc-parler, il a été l’un des premiers à soutenir le Mouvement du 20 février.
Et demain ? La mobilisation continue
comment voyez-vous l’avenir du pays après ce 1er juillet ? les manifestations du mouvement 20 février doivent-elles se poursuivre ?
Karim Tazi : Je n’ai jamais accordé une grande importance à ce vote qui ne constitue qu’une étape dans un long processus. Le combat démocratique doit continuer. Mais ce qui me fait de la peine, c’est cette falsification de l’histoire à laquelle nous sommes en train d’assister et qui consiste à dérober aux jeunes leur victoire. C’est à ces jeunes du 20 février que nous devons ce qui a été réalisé pendant ces quatre mois, malgré les erreurs tactiques qu’ils ont pu commettre. Ne pas le leur reconnaître, chercher à les humilier comme on le fait aujourd’hui, revient à laisser des plaies ouvertes et à gravement insulter l’avenir. Le “oui” va l’emporter largement. Mais il faut que les jeunes comprennent que l’adoption de ce texte n’est pas la fin du monde et revenir à la charge pour continuer le combat démocratique.
Hamza Mahfoud : Ce qui est décevant, c’est que le régime n’a pas été au niveau de l’événement. Il a laissé passer la vague et réagi par le moyen d’un texte en deçà des aspirations populaires. C’est pour cette raison que nous avons appelé au boycott du référendum. Nous restons “Mamfakinch” avec notre objectif de monarchie parlementaire. Nous continuerons à appeler de nos vœux liberté et démocratie, ici et maintenant.
Nabila Mounib : La jeunesse marocaine, à l’instar du monde arabe, a démontré sa capacité à s’inscrire dans une démarche constructive et participative, via une plateforme porteuse d’un projet. Mais cette mutation profonde n’a pas été saisie par les autorités, parce qu’il y a des pressions internes qui s’opposent au changement, doublées de graves pressions externes qui ne désirent pas l’émancipation des peuples arabes. Ce sont ceux-là mêmes qui ont applaudi ce projet ambivalent et plein de paradoxes sans même en connaître le contenu. Mais, au Maroc, la société est toujours vivante. Le Mouvement du 20 février lui a donné une impulsion très forte et nous a sortis de l’immobilisme et de la récession politique. Le combat continue pour passer d’une monarchie conservatrice à une monarchie parlementaire dans un Etat de droit. Cela prendra le temps qu’il faudra, mais on va y arriver.
Mostafa El Khalfi : Après le 1er juillet, des chantiers colossaux attendent le Maroc. Le prochain défi réside dans les prochaines échéances électorales, d’où doit émerger un parlement fort. Si la transparence n’est pas au rendez-vous, tous les acquis de la nouvelle constitution resteront lettre morte. Par ailleurs, il faudra préciser plusieurs points, comme les lois organiques qui restent en suspens, surtout qu’ils concernent des domaines stratégiques pour le pays, comme le découpage électoral.
Meryam Demnati : La constitutionnalisation de la langue amazighe est certes une victoire, cependant, au sein du mouvement amazigh, nous sommes conscients que le combat ne fait que commencer pour empocher les dividendes de dix ans de travail dans le cadre de l’IRCAM. Nous allons par ailleurs mener un combat contre les forces conservatrices qui ont toujours affiché du mépris et programmé la mort de cette culture.
N° 480
Par Mohammed Boudarham,
Fahd Iraqi et Hicham Oulmouddane
Que pensez-vous de la nouvelle constitution ?
répond-elle à vos aspirations ?
Nabila Mounib : Notre principale revendication était d’avoir une
constitution démocratique qui instaure une monarchie parlementaire, telle que reconnue à l’international. Les Marocains sont majeurs et vaccinés et nous estimons qu’ils peuvent accéder à ce système de gouvernance. Or, cette nouvelle Constitution n’est pas démocratique. D’abord par la procédure de son élaboration et puis dans son contenu, qui ne consacre pas la souveraineté du peuple. La monarchie reste, en effet, omniprésente et le roi préside toujours l’ensemble des conseils, et surtout le Conseil des ministres où sont élaborées les orientations et politiques stratégiques du pays. Bien sûr, certaines prérogatives ont été concédées au chef du gouvernement, mais le partage reste déséquilibré. Il n’y a pas non plus de réelle séparation des pouvoirs et, surtout, il n’y a pas de liaison entre exercice du pouvoir et reddition des comptes. Pour résumer, je dirai que le roi demeure au-dessus de la Constitution.
Karim Tazi : C’est une constitution de transition et il nous faudra sans doute passer par plusieurs transitions avant d’atteindre une véritable démocratie. Cela dit, j’ai toujours dit et répété qu’une démocratie ne s’octroie pas, elle se gagne. Ce que nous avons obtenu a été à la hauteur de notre mobilisation. Si nous avions été des millions dans la rue, nous aurions obtenu plus. Mais nous n’avons été que 300 000 et le résultat est logique. Ma déception la plus grande réside dans le caractère “attrape-tout” des prérogatives du Conseil des ministres, qui réduit mécaniquement celles du Conseil de gouvernement. Idem pour la Chambre des conseillers qui a survécu et dont les prérogatives continuent à se recouper avec celles de la première chambre.
Mostafa El Khalfi : Cette Constitution est, à plusieurs égards, plus évoluée que la précédente. Je crois que le problème de la monarchie exécutive a été résolu dans certains aspects, mais renforcé dans d’autres. Nous ne sommes pas encore arrivés à une monarchie parlementaire où le roi reste à l’écart de la gestion du pays pour s’astreindre à un rôle d’arbitre et de symbole de la souveraineté. Il y a aussi cette dualité entre Conseil de gouvernement et Conseil des ministres que nous aurions aimé voir disparaître. Le roi garde par ailleurs de grandes prérogatives en matière de législation qui empiètent sur le rôle du parlement. Nous avons proposé, par exemple, que toutes les privatisations et les cessions des terres de l’Etat soient validées par le Législatif, mais cette proposition n’a pas été retenue. Tout cela pour dire que nous faisons un pas en avant, mais avec beaucoup d’hésitation. Néanmoins, si nous avons un vrai chef de gouvernement, nous pouvons déboucher sur une répartition équitable des pouvoirs.
Hamza Mahfoud : Au sein du Mouvement du 20 février, nous estimons que la Constitution soumise à référendum ne doit être comparée ni avec celle de 1996, ni avec les mémorandums des partis politiques. Elle doit être appréhendée à la lumière de cet instant historique qu’on appelle le Printemps arabe. Ce sont les peuples qui décident de leur sort via des assemblées constituantes. Quand nous avons été convoqués par la Commission consultative de révision de la Constitution, nous avons décliné à l’unanimité cette invitation. Nous avons continué à revendiquer une assemblée constituante pour définir le régime que nous désirons et qui n’est autre qu’une monarchie parlementaire. Personnellement, je peux vous dire que, malgré notre position de principe, j’aurais voté “oui” et appelé à voter pour cette Constitution si le processus avait débouché sur une réelle démocratie. Sauf que le dernier discours du roi était décevant, tout autant que le texte de constitution proposé.
K. Tazi : Il y a d’autres motifs de déception dans ce texte constitutionnel, notamment en ce qui concerne la séparation des pouvoirs et l’indépendance de certains organes cruciaux. Exemple : le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire, du fait de sa présidence et de sa composition, ne me paraît pas réunir les garanties d’indépendance dont nous avons besoin. C’est encore moins le cas pour la Cour constitutionnelle. Pourtant, il s’agit de deux organes cruciaux, censés protéger, en ultime recours, l’application de la loi et le droit du citoyen. En raison de mon expérience personnelle ces quatre derniers mois, je peux témoigner de l’importance cruciale de la protection des droits et des libertés d’expression des militants. Or, on ne construira pas la démocratie sans militants.
Meryam Demnati : Je parle ici au nom du mouvement amazigh, qui a 50 ans de militantisme et qui a appris à se méfier. Nous ne nous attendions pas non plus à ce qu’on nous déroule le tapis rouge. Mais ce que nous avons eu là, c’est une réponse anti-démocratique à la mobilisation du 20 février, dont la jeunesse amazighe est une composante. Le travail de la commission de Abdeltif Menouni, puis la finition, si j’ose dire, par le mécanisme présidé par le conseiller du roi Mohamed Moâtassim, n’a pas été exemplaire. Mais il y a pire. La mobilisation, à la dernière minute, des partis conservateurs pour contrer les revendications démocratiques auxquelles nous aspirions. J’ai eu accès au texte initial et je peux vous dire que c’est une constitution dont nous aurions été fiers. Malheureusement, elle a été torpillée et on sait très bien par qui. Exemple : la constitutionnalisation de la langue amazighe. Certes, c’est un acquis très important puisque c’est la première fois que cette langue figure dans la constitution d’un pays d’Afrique du Nord. Toutefois, dans la copie initiale, il était marqué que les deux langues du Maroc sont l’arabe et l’amazighe, au même titre. Arrivent ensuite les torpilleurs et on se retrouve avec l’amazighe qui est “aussi langue officielle”. Ils ont fait la même chose pour l’africanité. Au début, le Maroc était un pays africain. Et à la fin on retrouve que l’africanité est un affluent comme les autres. C’est le comble ! Et pour couronner le tout, on a fini par nous dire que nous appartenons à la Oumma arabo-islamique, une autre mention qui n’existait pas dans la copie de la commission Menouni.
“La liberté de conscience” a été également supprimée de la mouture finale du projet de constitution. Quel rôle a joué le pjd pour que cette mention soit retirée ?
M. El Khalfi : Contrairement à ce qui a été dit ou écrit, le PJD n’a pas été utilisé pour faire pression et enlever la mention “liberté de conscience”. Dans la dernière ligne droite de l’élaboration de cette Constitution, c’est-à-dire jusqu’aux derniers jours, nous avons mené une bataille sur le front démocratique. Nous avons insisté, par exemple, pour que les walis et ambassadeurs soient proposés par le chef du gouvernement et aussi pour que les conseils des régions soient élus au suffrage universel. Ce n’était pas le cas initialement. Quant à la liberté de conscience, sachez que même la commission a été divisée sur cette question qui était, en plus, formulée de manière très restrictive. Dans la copie initiale, il était écrit que cette liberté de conscience devait s’exercer dans le cadre de la loi et sans porter atteinte à l’ordre public. Ce qui ne veut rien dire en fin de compte.
N. Mounib : Pour nous, la liberté de conscience n’est pas élémentaire, elle est fondamentale. Mais je commencerai par la question de l’identité pour dire qu’elle va au-delà de la Constitution et qu’elle est au centre de tout projet sociétal. Au Maroc, on a deux projets qui s’affrontent, le projet moderniste et démocratique et le projet conservateur. En fin de compte, c’est la frange conservatrice qui a gagné. Et ce n’est pas parce que le PJD a fait pression mais parce qu’on a voulu que les conservateurs gagnent cette bataille. Vous savez, les mots ont leur importance. Dire que le Maroc est un pays musulman, ce n’est pas la même chose que dire que l’Etat est musulman. Un Etat, ce sont des institutions. Et puis, au PSU, nous avons proposé d’appeler les Marocains un peuple et non une Oumma. Dans la Oumma, l’individu n’existe pas et c’est une grave erreur.
H. Mahfoud : Un petit détail : dans la nouvelle Constitution, le roi est mentionné à 61 reprises, le peuple n’est cité qu’une seule fois. Cela résume à peu près tout…
K. Tazi : Pour avoir également eu accès au texte initial, je peux confirmer qu’il avait une meilleure cohérence que le projet qui a été soumis au vote. Et il est certain que l’une des plus tragiques amputations dont il ait été victime est celle relative à la liberté de conscience. J’aimerais qu’on m’explique comment une conscience peut ne pas être libre ! C’est comme si on venait me parler d’une nuit ensoleillée. Croire qu’on peut régenter la conscience d’un individu dans un texte constitutionnel, c’est, au mieux, une supercherie intellectuelle et, au pire, quelque chose d’inquiétant. Cette amputation, à mon avis, est une perte pour ce texte et pour le Maroc. Même chose pour la notion de “religion de l’Etat marocain” qu’on a substituée à la notion originelle de “pays musulman”. Lorsqu’on sait que l’Etat est souvent défini comme une entité qui a le monopole de la contrainte physique légitime, lui reconnaître une religion, c’est reconnaître quelque chose de contraignant à ce qui devrait pourtant relever de la sphère privée, voire intime de l’individu. Cela dit, je ne crois pas qu’il y ait eu un complot entre le PJD et le pouvoir. Je pense que le PJD était dans son rôle en tant que parti qui a des convictions et qui les a défendues. Je pense que ce qui s’est passé durant les 3 ou 4 derniers jours - que je qualifierai de naufrage ou de tragédie - est d’abord un échec pour le camp progressiste de ce pays, qui est resté tétanisé pendant que d’autres jouaient leur rôle. On oublie qu’une constitution résulte d’un rapport de forces.
M. Demnati : On a retiré le caractère civil de l’Etat et la liberté de conscience qui sont les bases de toute société démocratique. Je reviens à l’amazighité pour rappeler qu’à la dernière minute, on a permis à un leader de l’Istiqlal d’aller à la télévision pour parler tout seul pendant des heures. Et de débiter des énormités au sujet de l’amazighité. Nous, par contre, nous n’avons pas eu droit à la parole.
H. Mahfoud : En tant que membre du Mouvement du 20 février, je m’en tiens toujours à notre plateforme. Ce texte tournait autour d’un grand slogan : “Assez de sacralités, plus de liberté”. En ce qui concerne la liberté de conscience, et sans vouloir accuser qui que ce soit, je rappelle juste que le PJD, lors des marches du 1er mai, nous avait accusés publiquement d’être contre l’islam.
M. El Khalfi : Le PJD n’a jamais dit une chose pareille. Cela dit, pour résoudre les questions liées à l’identité, il nous aurait fallu une assemblée constituante élue par tous les Marocains. Et c’est le peuple qui aurait tranché en fin de compte. En ce qui concerne l’amazigh, au PJD, nous avons proposé que cette langue soit nationale sachant que nous n’allions pas nous opposer à son officialisation. Et j’aimerais insister sur un point capital : la langue amazighe, en plus d’être langue officielle, a été déclarée “patrimoine commun à tous les Marocains”, statut qui n’a pas été réservé à la langue arabe. Ce qu’il nous faut, c’est une vraie politique linguistique qui préserve et aide à l’évolution et de l’arabe et de l’amazigh, en plus des autres expressions nationales.
K. Tazi : Nous avons eu, à l’occasion de la rédaction de cette Constitution, une parfaite démonstration du concept de “Blad Schizo” cher au groupe Hoba Hoba Spirit. Le texte de constitution a d’abord été écrit en langue française avant d’être traduit, avec plus ou moins de bonheur, en langue arabe. Ce texte reconnaît, avec une certaine hésitation, le caractère officiel de la langue amazighe et mentionne, parmi d’autres, la langue que parlent quotidiennement la plupart des Marocains, la darija, et, enfin, ne dit pas un mot de la langue dans laquelle il a été écrit. Bonjour la schizophrénie ! Dramatique illustration de ce qu’il se passe lorsque les considérations idéologiques l’emportent sur le bon sens et l’intérêt du simple citoyen.
N. Mounib : Nous vivons effectivement une grave schizophrénie. On nous dit que les lois et conventions internationales priment sur les lois nationales et, en fin de compte, ce sont ces dernières qui ont la suprématie, puisqu’il est écrit que les conventions internationales ne peuvent être opposées aux identités ancrées. On comprend tout de suite que le gardien de ces identités soit le Conseil des Ouléma qui, lui aussi, est présidé par le roi.
H. Mahfoud : Le préambule de la Constitution dit aussi que les conventions internationales ne sauraient être segmentées. Or, c’est ce qui arrive tout au long du texte.
Concernant le pouvoir de la monarchie, pensez-vous que la cour royale aurait dû prendre une dimension institutionnelle dans cette nouvelle constitution ?
N. Mounib : C’est une question fondamentale au sujet de laquelle le PSU a rédigé un document où nous expliquons comment ce gouvernement de l’ombre constitue une entrave à la démocratie. Nous avons relevé que cette force supragouvernementale recrute des technocrates qu’elle habille avec les couleurs de certains partis politiques dont ils ne connaissent même pas les locaux. Ils ont manipulé le champ politique en perspective des élections de 2012. Heureusement que le 20 février est passé par là, même si rien n’est encore gagné. Par ailleurs, l’entourage royal ne se limite pas à son cabinet. On peut y inclure aussi le ministère de l’Intérieur, le secrétariat général du gouvernement, sans oublier les walis et gouverneurs qui sont aujourd’hui nommés par le Conseil des ministres. A cela s’ajoute l’ensemble des commissions, des conseils, des fondations et des agences qui travaillent sous la supervision directe du roi. En bref, l’entourage royal est très tentaculaire, il commence au sommet et descend jusqu’aux petits postes de responsabilités, soumettant ainsi toutes les institutions du pays à son contrôle et réduisant les contre-pouvoirs à leur plus bas niveau. Et le fait que le cabinet royal ait été passé sous silence dans la nouvelle Constitution ne présage rien de bon.
M. El Khalfi : C’est un véritable casse-tête institutionnel. Il suffit de savoir que cet entourage n’est pas concerné par la loi sur la déclaration de patrimoine. C’est un indicateur très grave. Cet entourage a failli avoir la mainmise sur la scène politique, à l’instar de l’Egypte et la Tunisie.
N. Mounib : Ce qui a aggravé cette domination de l’entourage royal c’est l’économie de rente, qui est en totale opposition avec le choix de l’économie libérale décidé par le Maroc. Les proches du roi profitent largement de leurs rentes dans une totale impunité.
K. Tazi : Dès 2005, j’avais évoqué dans une interview l’influence néfaste que pouvait avoir l’entourage royal, que ce soit dans la sphère économique ou politique. Aujourd’hui, c’est un sujet devenu banal, mais dont les causes ne sont pas toujours bien comprises. A partir du moment qu’une personne exerce un pouvoir important, son entourage bénéficie mécaniquement de la protection qu’apporte ce pouvoir. Des gens qui n’ont pas de rôle institutionnel influent en coulisse sur la marche des affaires de l’Etat. Chaque fois qu’on parvient à restreindre les situations d’exercice ultrapersonnalisé du pouvoir, on limite l’influence des entourages. Or ce n’est pas le cas dans la Constitution actuelle, alors que faire ? Rien sinon espérer qu’à l’avenir, cet entourage sera de qualité, ce qui pose la question plus générale du rôle des conseillers royaux. Comme tout chef d’Etat, le roi a le droit d’être entouré par des conseillers, mais il faudra qu’on nous explique en toute transparence quels sont exactement leurs rôles, leurs sphères d’influence et la nature de leurs rapports avec le gouvernement et l’administration.
H. Mahfoud : Concernant l’entourage royal, je me réfère à l’acte constitutif du Mouvement du 20 février, qui stipule clairement la responsabilité de l’Etat de punir les personnes impliquées dans les actes de torture et de corruption. Les slogans du mouvement ont été très explicites. Des milliers de manifestants ont scandé “avec El Himma et Majidi, Mamfakinch” et “El Himma, dégage”. D’autre part, le Mouvement du 20 février a revendiqué une réduction des prérogatives du roi, ce qui impliquerait automatiquement une réduction de la marge de manœuvre de ses amis et collaborateurs.
M. Demnati : Déjà, sur la commission de Menouni a été greffé le mécanisme présidé par Mohamed Moâtassim, qui n’est autre qu’un des personnages clés du cabinet royal. Tout porte à croire que cette notion opaque d’entourage royal a encore de l’avenir, et le roi continuera -grâce à cette Constitution qui lui octroie un pouvoir absolu - de choisir ses conseillers, qui continueront à défendre leurs intérêts. Peu importe que l’on sache qui ils sont ou quelle est l’étendue de leurs prérogatives.
M. El Khalfi : Je pense que la nouvelle Constitution n’est pas une fin en soi. Ce qui importe c’est comment on va l’interpréter. Si on veut lui donner une interprétation démocratique, les choses vont avancer, sinon, dans la pratique, ce sera un remake du texte de 1996. En tant que membre du PJD, même si nous allons voter “oui” pour cette Constitution, il n’empêche que certaines de nos revendications n’ont pas été prises en compte. C’est le cas des nouvelles prérogatives du parlement qui, à première vue, ont été élargies, mais sans englober les contrats-programmes ou encore les accords commerciaux entre le Maroc et les pays étrangers. C’est fondamental pour nous que ce genre d’accords soient soumis à la ratification du parlement. Mais, encore une fois, tout dépendra de l’interprétation qui sera donnée à cette nouvelle loi fondamentale du pays.
Durant la campagne, on a vu plusieurs manifestations des partisans du “oui”. dans certains cas, elles ont tourné à la confrontation avec ceux qui, dans la rue, expriment un avis contraire. comment analysez-vous cette situation ?
N. Mounib : En ce qui concerne les heurts dans la rue, il s’agit d’événements inqualifiables. Il s’agit d’un déni de l’intelligence pure et simple. Le respect d’un peuple commence d’abord par lui accorder le libre choix et non pas lui demander de répondre aveuglément par l’affirmative. Le “non” n’avait pas droit au chapitre. J’en fais l’expérience avec la campagne du non que je mène avec mon parti. Dans la ville d’El Jadida, nous n’avons pas pu avoir accès à la salle où nous avions programmé notre meeting. En revanche, les autorités locales mobilisent toutes les corporations de métiers pour le “oui”. Les pratiques qui nous rappellent l’ancienne ère reprennent le dessus. Avant même le début de la campagne, il y a eu beaucoup de manipulations des Marocains, à qui on a essayé de faire peur en jouant avec le spectre de ce qui s’est passé dans le monde arabe. On a l’impression que l’Etat ne fait rien pour que le peuple marocain évolue. La clé réside dans l’éducation, dont la gratuité n’a même pas été consacrée dans la Constitution.
K. Tazi : Les gens doivent voter 15 jours après le discours royal, dans un contexte caractérisé par une insuffisance de débat. Et cette approbation rapide, pour ne pas dire expéditive, est aggravée par le retour de la propagande grossière. La neutralité à laquelle on est en droit de s’attendre de la part d’un Etat démocratique a été gravement bafouée. L’ensemble du contexte de l’élaboration de cette Constitution, jusqu’à son marketing politique, n’est pas rassurant pour ceux qui aspirent à une démocratisation du pays.
M. Demnati : Il suffit de revenir à la réaction des autorités au lendemain du discours royal et du lynchage systématique des jeunes du Mouvement du 20 février, dont certains ont été menacés dans leur intégrité physique au prétexte que ce sont des traîtres à la nation et qu’ils sont des antiroyalistes. Après tout le cinéma orchestré par l’Etat pour faire passer ce projet, ne fallait-il pas continuer à laisser les jeunes s’exprimer dans la rue pour faire bonne figure, sachant que la constitution allait être validée sans surprise ?
K. Tazi : Absolument, ne suffit-il pas que 30 partis politiques sur 34 aient adopté ce texte ? Pourquoi recourir aux chioukh et moqaddems, sans oublier la Zaouia Boutchichia et je ne sais quoi d’autre pour galvaniser les troupes et installer un climat de tension dans la rue.
H. Mahfoud : Durant la manifestation du 26 juin, nous avons eu droit à des jets de pierre, ce qui a fait plusieurs blessés parmi les manifestants, en plus d’un blessé grave parmi les forces de l’ordre. Nous avons été approchés par trois adolescents de Hay Mohammadi qui nous ont confié que certaines personnes leur avaient donné un billet de 100 DH et leur avaient expliqué que les jeunes du mouvement étaient des Algériens qui manifestaient contre la marocanité du Sahara. D’un autre côté, plusieurs bus ont déversé des centaines de personnes sur le lieu de la manifestation à Hay Mohammadi. Par ailleurs, on a vu de la Baltaja aussi au niveau de la désinformation. En effet, la MAP a parlé de 300 000 adeptes de la Zaouia Boutchichia alors que personne n’a parlé des manifestants contre la Constitution. Sans oublier la traque sur le Net et le piratage des adresses mail et des profils Facebook des militants. Alors, elle est où la promesse des lendemains démocratiques ?
M. El Khalfi : Malheureusement, ces heurts gratuits sont devenus une constante de la scène politique marocaine. Chaque fois qu’il y a une avancée, il y a des forces régressives qui viennent la mettre en échec. Pour rappel, au début du mouvement, la télévision s’est ouverte à tous les courants pour leur donner la parole. C’était une avancée spectaculaire. Même les manifestations se sont inscrites dans une certaine normalité. Malheureusement, dès que la campagne pour le référendum a été lancée, les mauvaises habitudes ont repris le dessus.
Ils débattent…
Mostafa El Khalfi : Le directeur du quotidien Attajdid est un membre dirigeant du Mouvement unicité et réforme (MUR), association proche du Parti justice et développement (PJD), dont il est également membre du secrétariat général.
Meryam Demnati : Cette enseignante spécialiste en pédagogie est l’une des figures féminines les plus en vue du mouvement amazigh. Elle est aussi chercheur à l’IRCAM et membre de l’Observatoire amazigh des droits et libertés (OADL).
Hamza Mahfoud : Membre très actif et auteur de plusieurs slogans du Mouvement du 20 février, ce licencié en philosophie est aussi lauréat de l’Institut supérieur de journalisme et de l'information (IFJ sup).
Nabila Mounib : Professeur de biologie, elle est secrétaire générale de la section casablancaise du Syndicat national de l’enseignement supérieur (Snesup). Elle est aussi membre du secrétariat général du Parti socialiste unifié (PSU).
Karim Tazi : Businessman respecté dans les milieux des affaires, il est aussi le fondateur de la Banque Alimentaire. Acteur associatif très engagé, réputé pour son franc-parler, il a été l’un des premiers à soutenir le Mouvement du 20 février.
Et demain ? La mobilisation continue
comment voyez-vous l’avenir du pays après ce 1er juillet ? les manifestations du mouvement 20 février doivent-elles se poursuivre ?
Karim Tazi : Je n’ai jamais accordé une grande importance à ce vote qui ne constitue qu’une étape dans un long processus. Le combat démocratique doit continuer. Mais ce qui me fait de la peine, c’est cette falsification de l’histoire à laquelle nous sommes en train d’assister et qui consiste à dérober aux jeunes leur victoire. C’est à ces jeunes du 20 février que nous devons ce qui a été réalisé pendant ces quatre mois, malgré les erreurs tactiques qu’ils ont pu commettre. Ne pas le leur reconnaître, chercher à les humilier comme on le fait aujourd’hui, revient à laisser des plaies ouvertes et à gravement insulter l’avenir. Le “oui” va l’emporter largement. Mais il faut que les jeunes comprennent que l’adoption de ce texte n’est pas la fin du monde et revenir à la charge pour continuer le combat démocratique.
Hamza Mahfoud : Ce qui est décevant, c’est que le régime n’a pas été au niveau de l’événement. Il a laissé passer la vague et réagi par le moyen d’un texte en deçà des aspirations populaires. C’est pour cette raison que nous avons appelé au boycott du référendum. Nous restons “Mamfakinch” avec notre objectif de monarchie parlementaire. Nous continuerons à appeler de nos vœux liberté et démocratie, ici et maintenant.
Nabila Mounib : La jeunesse marocaine, à l’instar du monde arabe, a démontré sa capacité à s’inscrire dans une démarche constructive et participative, via une plateforme porteuse d’un projet. Mais cette mutation profonde n’a pas été saisie par les autorités, parce qu’il y a des pressions internes qui s’opposent au changement, doublées de graves pressions externes qui ne désirent pas l’émancipation des peuples arabes. Ce sont ceux-là mêmes qui ont applaudi ce projet ambivalent et plein de paradoxes sans même en connaître le contenu. Mais, au Maroc, la société est toujours vivante. Le Mouvement du 20 février lui a donné une impulsion très forte et nous a sortis de l’immobilisme et de la récession politique. Le combat continue pour passer d’une monarchie conservatrice à une monarchie parlementaire dans un Etat de droit. Cela prendra le temps qu’il faudra, mais on va y arriver.
Mostafa El Khalfi : Après le 1er juillet, des chantiers colossaux attendent le Maroc. Le prochain défi réside dans les prochaines échéances électorales, d’où doit émerger un parlement fort. Si la transparence n’est pas au rendez-vous, tous les acquis de la nouvelle constitution resteront lettre morte. Par ailleurs, il faudra préciser plusieurs points, comme les lois organiques qui restent en suspens, surtout qu’ils concernent des domaines stratégiques pour le pays, comme le découpage électoral.
Meryam Demnati : La constitutionnalisation de la langue amazighe est certes une victoire, cependant, au sein du mouvement amazigh, nous sommes conscients que le combat ne fait que commencer pour empocher les dividendes de dix ans de travail dans le cadre de l’IRCAM. Nous allons par ailleurs mener un combat contre les forces conservatrices qui ont toujours affiché du mépris et programmé la mort de cette culture.
N° 480
Par Mohammed Boudarham,
Fahd Iraqi et Hicham Oulmouddane
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